HISTORIQUE de la PÊCHE aux HARENGS à BERCK sur MER.

La pêche du hareng se pratique sur nos côtes depuis des siècles , du début d'octobre à la fin décembre, car c'est à cette époque qu'a lieu la migration de ces poissons qui viennent frayer sur les fonds sablonneux du rivage. Après le frai, devenu maigre, le hareng est sans saveur.

Au fil des siècles la durée de la saison de pêche a fait l'objet de nombreuses ordonnances qui en fixaient les dates, les lieux ainsi que la taille des filets; et ceci dans le but de préserver cette réserve de nourriture qui ne coûtait pas cher et pouvait servir à alimenter les collectivités comme les abbayes, les hôpitaux, les garnisons et aussi les gens les moins fortunés. De plus, comme c'était le seul poisson qui puisse être salé et par là même être conservé et transporté, son importance était telle qu'on le considérait comme une monnaie d'échanges.

 

Le hareng mais pas que

On le pêchait à partir d'installation terrestres, parcs et cibaudières, mais surtout à partir de bateaux de bois : les flobarts. Ceux-ci étaient fabriqués à Berck-Ville; en orme, frêne et sapin blanc selon la technique dite « à clins ». Leur coque était enduite de coaltar et pour qu'ils puissent s'échouer sur nos plages, le mât se couchait, la quille se relevait ,le fond était plat et souvent renforcé. Une fois terminé, le bateau était «traîné » par les hommes ou par des attelages jusqu'à la plage, puis il était béni par le Curé avant de prendre la mer. Leur durée de vie était de sept à huit ans car les échouages répétés nuisaient beaucoup à leur solidité. Eric Dandre, historien, rapporte que ces bateaux harenguiers pouvaient servir aussi à d'autres pêches après la saison du hareng. Ils se manœuvraient plus à la rame qu'à la voile et ils embarquaient un équipage de huit à douze marins. Les plus petits , creux et sans abri , d'une capacité de quatre ou cinq hommes étaient à peu près les mêmes que ceux qui étaient utilisés à Berck à la fin du siècle dernier.

Imaginez la vie de ces pêcheurs, assis sur des bancs de bois, exposés aux coups de mer et aux intempéries, à la pluie, à la neige ou à la grêle., couverts de lainages, les jambes dans des hautes bottes fourrées de paille , mais c' était au plus fort de l'hiver qu'ils faisaient leurs meilleures pêches sans craindre les gelées et l'eau glacée. Ils partaient à marée haute. A l'aide de cordes en V et de planches enduites de savon, les femmes hâlaient le bateau échoué jusqu'à proximité du flot montant puis elles s'en retournaient chez elles réparer les filets ou, en Baie d'Authie ramasser des vers et des « hénons ». L'été elles allaient pêcher la crevette , une bande de toile huilée serrée par une corde autour de la taille, pieds nus, les jambes protégées par des « housettes » (jambières de laine), une grosse « manne » d'osier sur le dos, dans l'eau jusqu'à la taille, elles poussaient devant elles le grand « sétrier ».

 

La flotte s'amenuise au fil du temps

Après 1890 avec les bateaux pontés, les conditions de la pêche changèrent et on vit apparaître des gros bateaux réservés exclusivement à la pêche du hareng. En 1923-1926 le moteur vint au secours des matelots, et ce , jusqu'à la guerre 39 - 45 qui vit le déclin de la pêche à Berck. En 1872 la flotte Berckoise comprenait 90 bateaux. En 1910 il restait : 12 gros bateaux jaugeant 18 à20 tonneaux et 17 de 5 à 10 tonneaux. Les plus gros pouvaient emporter un équipage de 24 pêcheurs , les plus petits 4 à 5 hommes.

Pendant la saison de pêche des fanaux ou des feux guidaient les pêcheurs la nuit. Citons la Tour d'Ordre à Boulogne, les feux d'Etaples et le feu de Berck qui était allumé sur la tour de l'Eglise St Jean Baptiste ( le foier) après l'avoir été sur la tour de l'Eglise de Verton trop vite ensablée et éloignée du rivage. (ceci explique la ressemblance des deux clochers). Le chargement des bateaux : filets, cordes, vivres était apporté par des « ballons », petites charrettes tirées par un cheval. C'était le « lovage ». Puis hommes et femmes récitaient la prière avec beaucoup de ferveur et ensuite on tirait au sort la place du filet. Car pour avoir une part de pêche entière, chaque marin pouvait apporter son filet que l'on ajoutait aux autres mais dans un ordre déterminé par le sort car les risques de déchirure étaient plus importants pour les filets éloignés du bateau. Ces filets étaient fabriqués à Berck par les femmes , les enfants, les vieillards qui « laçaient et ramendaient » à longueur de journée. En 1861 le fil de chanvre d'Abbeville fut remplacé par du coton.

 

Le hareng source économique

Les familles de pêcheurs attendaient avec impatience cette période d'octobre à décembre, espérant ainsi voir la fin des restrictions lorsque la saison de pêche d'été avait été mauvaise. Les filets embarqués étaient de deux sortes : les filets à poche, genre chalut, et les filets dérivants. Le maillage et la taille des filets variait selon les ports et les époques. Les pêcheurs harenguiers étaient soumis à l'obtention d'un « congé », autorisation de pêche côtière délivrée par l'Amirauté ,et à l'acquittement d'une redevance destinée à couvrir les frais d'entretien des feux d'entrée de port et de signalisation de la côte. La pêche était permise le dimanche et les jours de fête à condition de payer au Curé une dîme spéciale très impopulaire. Les bateaux étrangers devaient s'acquitter d'un droit d'ancrage lorsqu'ils s'échouaient sur les plages de Berck , Merlimont et Cucq. Jusqu'à l'apparition des moteurs la pêche se faisait au moyen de « cordes » d'où le nom de cordiers donné à ces petits bateaux. Une corde est une ligne sur laquelle sont fixés environ 75 hameçons. Elles sont préparées par des cordiers et des « atcheuses » qui accrochent les appâts sur les hameçons et enroulent les lignes dans des bassines. Ce travail est réalisé aussi , les jours de mauvais temps , par la famille et il consiste à monter des « peilles » et des hameçons sur la corde. Bien sûr, pour parer à toute mauvaise éventualité les familles sont obligées d'avoir un jeu de cordes de rechange.

 

L'importance du ver

Le ramassage des vers destinés à appâter les hameçons est un tout autre travail, pénible car il se fait en toutes saisons par des « vérotiers » et des « vérotières » mais sa réussite dépend des marées et de leur hauteur d'eau :

  • par grande marée ( à basse ieu ) on recherche les gros vers noirs qui sont nombreux mais souvent difficiles à attraper.
  • par marée de morte eau à mortieu) il faut se rabattre sur les vers (atchés), sur les vers à l'œil ou sur les vers à « faschènes » ( à proximité des fascines, épis 16,17).

Les repères qui permettent de déceler leur présence dans le sable sont différents soit des tortillons parfaitement ronds : vers noirs et rouges soit des barrettes pour les vers atchés soit des tortillons et des petits trous très proches pour les vers à l'œil. Pour mémoire: en cas de pénurie de vers on utilisait des coques (hénons).  A une certaine époque s'était développé à Berck un certain travail ( fatigant et pour lequel il fallait être doué) qui consistait à ouvrir les coques, à les éplucher et les ranger dans des seaux qui étaient ensuite rendus aux grossistes qui avaient livrés ces coquillages. Inutile de préciser l' odeur suave qui régnait dans les maisons des gens qui se livraient à ce travail. Cette odeur iodée et persistante aurait découragé plus d'un homme , mais la nécessité fait loi.

 

Le cordier

Chaque matelot avait pour obligation de fournir à son « batieu » des cordes amorcées et dûment repérées au « cavet » qui était un nombre de nœuds ou combinaison de nœuds particulière à chaque marin. Ceux qui ne pouvaient pas préparer ces cordes sous traitaient cette opération avec des retraités pour un prix convenu à l'avance et avec la promesse d'une belle « caudière. » (un bon paquet de poissons).

Le patron du bateau décidait du lieu de pêche et dirigeait son bateau pour allonger la tessure dans des endroits repérés et connus de lui seul. Après avoir passé le temps nécessaire sur les lignes on recueillait les cordes et après avoir « dépiché », décroché le poisson, chacun des marins reprenait ses lignes et les donnait à démêler à des « arpéreuses ». La pêche en elle-même consistait à déployer au maximum sa « tessure » et attendre la chance d'y voir se prendre le plus de harengs possible. Pendant ce temps , certains marins, pour leur propre compte , pratiquaient la pêche aux merlans. le long du bord. Ces merlans étaient dits: de « clipotage ». Mais le temps passé à cette activité était imputé aux marins sur leur temps de sommeil.

 

Le tourisme en point de mire

Les petits bateaux à voile avaient aussi une activité estivale. Entre 1926 et 1939 les familles HAGNERE et FOURNIER proposaient aux vacanciers de petites promenades en mer. Cependant, n'oublions pas que cette navigation des petits bateaux, à voile ou à moteur, n'était pas sans risques malgré la grande compétence des patrons pêcheurs. Les anciens Berckois se souviennent encore du naufrage , au large de Berck ,le 12 août 1962,de « L'ESPOIR EN DIEU » dont aucun des quatre membres de l'équipage ne réchappa : le patron,G. BAILLET et l'équipage : MM BATAILLE, LAMART et FONTAINE. N'oublions pas , plus récemment encore , la disparition du « St Georges et MARIE - THERESE » d'Etaples , qui coula, la nuit du 24 Février 1967, emportant avec lui le jeune mousse Berckois Michel DEMARTELAERE.

 

A partir de 1923 les bateaux furent progressivement équipés de moteurs La conséquence directe de ce changement fut l'abandon de la pêche à la corde au profit du chalut « al paille ». Pour la pêche au chalut l'équipage , en principe , était composé de 5 à 6 hommes plus le patron et le mécanicien. La pêche était débarquée par des petits canots à rames sur la plage de Berck, l'unité de pêche restant mouillée au large. Le poisson était pris en charge par des ballons qui l'emportaient jusqu'au Halles de Berck Ville aujourd'hui disparues et qui se dressaient sur la place devant la Mairie.  Au Moyen-Age, au déchargement du poisson, le patron dirigeait les enchères dégressives, sous l'œil d'un échevin qui prélevait son impôt au passage. Les acheteurs, négociants et saleurs (Bourgeois de Boulogne et Forains Picards), assuraient le transport du hareng frais, salé , fumé ou mariné à travers toute la France et jusqu'au Portugal. Leur activité, pratiquée déjà par les Romains, trouvait dans la région des facilités importantes grâce aux salines de Noyelles, Rue et Waben , et aussi par l'utilisation des voies romaines qui reliaient notre côte aux villes de Reims et Bavay.

 

Les routes du hareng

Jusqu'à l'arrivée du Chemin de fer, le transport du poisson vers Paris était assuré par nos chasse-marées qui utilisaient le réseau des relais de poste sur l'itinéraire de la « route du poisson » La pêche saisonnière mobilisait cependant pendant neuf mois d'autres corps de métier tels que charpentiers, vanniers, cordiers, tonneliers etc., qui vivaient et travaillaient à Berck mais ne s'entendaient pas beaucoup avec les marins, surtout lorsqu'ils étaient jeunes. Les poissons plats: plies, limandes , flets etc. étaient présentés à la criée pratiquée par Mr Chaille BATAILLE , dans des petites mannes . Les soles quand à elles étaient étalées par paires sur une table et vendues par lot non divisible. Les mêmes voituriers livraient le poisson chez les mareyeurs (Mérie Manonne, Alphonse Evrard, Cousin ...) cette opération terminée les « Blancs Bonnets », femmes de marins, se retrouvaient à « LA CROIX D'OR », chez Foncine, pour boire un « tio jus » en commentant entre elles les gains du produit de la pêche.

 

Optimisation de l'utilisation des bateaux

Les patrons en dehors des périodes de pêche au chalut équipaient leurs bateaux pour la pêche aux crevettes grises, aux coquilles St Jacques et quelquefois pour la pêche aux mulets. Pendant les périodes plus calmes les retraités ou les marins inoccupés pratiquaient la pêche en bord de mer : la pêche au libouret, la pêche aux crevettes avec un sétrier ou ils posaient des parcs , des chibaudières ou « prémailles ». La pêche aux harengs: C'était une grande affaire , d'abord par les gains escomptés, et aussi par sa préparation. Dès le mois de septembre on commençait à armer c'est à dire préparer les « roes », les barils, les aussières et c'est après vérification de ce matériel qu'on, l'embarquait à bord. Suivant les habitudes ou la coutume les marins ont le droit d'embarquer des « roes » ce qui leur donne droit à une demi-part de plus lors du « partichage »

Après la dernière guerre, pour des raisons évidentes de débarquement et de transport du poisson bon nombre d'unités émigrèrent vers Boulogne. Les marins revenaient chez eux, en principe toutes les semaines par le train afin de se procurer du linge de rechange et des provisions. Lorsque cela était impossible les familles s'arrangeaient pour procurer le nécessaire à leur mari ou à leur fils. La pêche au hareng s'arrêtait fin décembre le plus souvent cependant quelques fois elle se continuait pour prendre le « hareng gai» , c'est à dire le hareng vidé de sa laitance ou de ses œufs.

 

Une pêche originale

Parmi les techniques de pêche signalons celle-ci fort originale : la pêche aux oiseaux ! Elle consistait à tendre des filets à plat à un mètre environ au-dessus du sable de telle façon que la marée les recouvre un peu et les oiseaux migrateurs qui plongeaient dans la mer pour attraper du poisson (surtout des macreuses) se faisaient prendre dans les mailles lorsqu'ils remontaient à la surface.

 

Une fin inévitable

Aujourd'hui il n'y a pratiquement plus de pêche à Berck et nos marins sont partis à Etaples d'abord puis maintenant à Boulogne à bord de bateaux qui pratiquent une n'abrite plus que des plaisanciers forme de pêche industrielle. Le petit port créé après la guerre à la « Madelon de l'Authie ».

Cet article a pu être réalisé grâce aux témoignages recueillis par Madame Mathilde PERU et grâce à l'ouvrage de Mr J.B. RIVET : « Berck, jadis et naguère. »

Jean DELHON et Robert MAGNIER.

Archives de la Confrérie. Document produit en 2000 pour le 10ème Chapitre.

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